Lecture : Monstre [une enfance] de Frédéric Jaccaud

Publié le 18 Juillet 2010

 

Monstre-une-enfance.jpg"Névropathe, sociopathe, psychopathe, j’ai eu droit à tous les diagnostics, à tous les qualificatifs. Je ne suis rien de tout ça, et tout à la fois, un mille-pathes en quelque sorte." Derrière ces adjectifs se cache l’autoportrait d’un vieillard interné dans un établissement psychiatrique : Thomas B. Il doit avoir dans les 70 ans et quelques et se réveille en 2048 dans un monde post-apocalyptique. Le ciel est teinté d’un gris dégueulasse ; les insectes ont envahi une terre malade d’elle-même ; de la race humaine, il ne reste presque rien. Du fond de sa chambre (cellule ?), Thomas est condamné à narrer à une psy aux motivations suspectes, ses souvenirs de jeunesse afin d’essayer de comprendre comment il est devenu ce qu’il est : un monstre. Un homme capable de tuer, violer, torturer des femmes ; des jeunes, des vieilles, des femmes enceintes, des ados… sans discernement aucun. Des femmes dont les nom-prénom ponctuent les chapitres telle une litanie intolérable.

Prisonnier d’un monde qui lui échappe, Thomas B. trouve dans l’écriture, non une rédemption mais une ou plutôt la manière de continuer à exister en tant qu’être humain, n’en déplaise au corps médical qui préfèrerait le classer d’office dans la catégorie des fous. Plus facile sûrement.

 

1986, l’été est brûlant, étouffant dans la petite ville de Traumstaat. Les mômes tournent en rond à l’affût de la première connerie. Parmi ces gamins, vivotent les frères B. : Thomas donc et Raymond, l’aîné. Aujourd’hui, on dirait de Thomas qu’il est différent ; à l’époque il est considéré comme débile, attardé, fou parce que lunaire, épileptique, hyper-sensible, associable... On est encore loin du monstre sanguinaire mais déjà il porte en lui les germes de cette rage inextinguible qui le poussera aux pires atrocités quelques années plus tard.

Pour pallier l’ennui, Thomas se réfugie dans un monde imaginaire peuplé d’elfes, de guerriers, de héros mythiques, de roi-soleil et de reine-mère dont il faut protéger l’innocence à tout prix ; un monde basé sur les jeux de rôles et la littérature.

 

Voilà pour l’univers de Frédéric Jaccaud : un fabuleux mélange de science-fiction, Fantasy, thriller, autobiographie qui fait voler en éclat les genres littéraires parfois si cloisonnés. Ajoutez-y une structure narrative subtilement déconstruite, une écriture poétique transgressive dans la lignée des surréalistes et des écrivains maudits et vous avez entre les mains un des bouquins les plus intenses qu’il m’ait été donné de lire ces derniers mois. La langue sublime et incroyablement maîtrisée flirte avec une férocité nauséeuse ; la pornographie sur papier glacé côtoie une intense réflexion sur la souveraineté des souvenirs, la puissance langagière, la folie, l’incommensurable pouvoir de l’imaginaire et des mots pour le formuler.

Et malgré toutes les horreurs qui vous assaillent au cours de la lecture, lorsque l’on referme Monstre [une enfance], on n’en retient surtout l’âcre parfum de la nostalgie, cette quête de l’innocence perdue gravée en chacun de nous et qui n’offrent que deux alternatives : se résigner à son irrémédiable perte ou combattre pour toucher du bout des doigts une certaine idée du paradis.

 

 

Frédéric Jaccaud, Monstre [une enfance], Calmann-Levy, 2010, 216 p.

 

Rédigé par Jenny Grumpy

Publié dans #Lecture

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