20 ans après

Publié le 2 Octobre 2012

Les lignes qui vont suivre pourraient être un sujet sur l’empathie ou l’hypersensibilité ou mes 15 ans ou la vie ou le pouvoir que l’on veut bien donner à Facebook… Je ne sais pas trop.

 

Ce matin, j’ai reçu une demande d’ami. Avant même de voir le profil, le nom même m’a projetée 20 ans en arrière. Merde !

Je l’ai rencontrée en seconde. On est devenue cop’s contre toute attente. Cop’s de conneries. J’avais été, jusqu’à présent une élève infaillible enchaînant les félicitations à chaque trimestre. Elle repiquait sa seconde, venait d’un autre collège, vivait avec sa mère, ses deux demi-sœurs et un beau-père de passage. Et puis surtout, elle venait d’un coin que je ne connaissais pas.

Il faut savoir que j’ai grandi à la campagne, élevée au grain quoi. Les élèves venaient de patelins d’une quinzaine de kilomètres à la ronde : des contrées dans lesquelles je n’avais jamais mis les pieds.

Bref, on a accroché tout de suite. Je ne fréquentais pas sa bande, elle ne savait rien de mes copines, mais on avait un truc. Aucune ambiguïté, je précise. C’est un peu comme si elle révélait mon côté obscur et que je révélais son côté "lumineux".

 

C’est avec elle que j’ai commencé à vraiment fumer, que je me suis fait virer de cours, que je sortais les vendredis et samedis soirs en boîte. J’étais insolente, mais brillante : ça sauve bien des situations. Je l’aidais vite fait dans les devoirs. Elle pouvait copier sur moi, je m’en foutais.

Elle est la première étrangère à la famille à avoir passé Noël avec mes parents. Le premier trajet que j’ai fait en bécane derrière mon père, c’était pour aller chez elle. C’est avec elle que j’ai rencontré le premier jules qui a (vite fait) compté. C’est elle qui a ramassé les morceaux de mon cœur de gamine brisé.

Bref, elle était mon amie, avec toute l’importance qu’on accorde à ce concept quand on a 15 ans.

Et puis, elle est passée du côté adulte plus rapidement que les autres : quand je passais mon bac, elle attendait son premier enfant. Elle sortait danser avec nous avec son bidon improbable, continuant à fumer des clopes et autres, et à boire. Ouais, je sais. Ça sentait pas bon ! La môme est née, je suis allée en fac.

 

Elle est venue squatter ma coloc’ trois jours qui ont duré trois mois… avec sa fille, ses fréquentations flippantes pour mon esprit bourgeois peut-être. Les mecs armés, les boulettes de shit dans le salon, les repas Pizza Hut à n’en plus finir, une aide pour le loyer en liquide. Une autre vie quoi !

 

Et puis, plus rien, pendant quelques années. Copains d’avant est arrivé, quelques échanges de mails sporadiques. Ses plans galères, sa vie compliquée, le manque d’argent, les difficultés d’une mère célibataire, un autre enfant (un garçon cette fois).

Il y a quelques années (trois ou quatre peut-être), une rencontre impromptue dans un magasin : on s’est serré fort dans les bras. On avait grandi, on avait vieilli, mais son œil pétillait. Elle souriait en disant que les galères finiraient bientôt, forcément, parce que la chance ça tourne, pas vrai ?

 

On a dû échanger après la naissance de mes mouflets.

Et ce matin, l’invit’ Facebook. Tous ces souvenirs ont ressurgi brutalement et de manière étrangement fluide. Sa fille avait dépassé l’âge que nous avions lorsque nous nous étions connues : étrange. Les images, les souvenirs étaient si vivaces, si présents. J’avais exploré une partie de moi avec elle.

 

Et puis j’ai regardé son mur, avant même d’accepter. La chute vertigineuse : la sienne et la mienne face à ce que j’ai vu d’elle. Les photos (certaines postées la veille), les statuts… Ça m’a bouleversée, choquée. Mon petit d’homme n’allait pas tarder à se lever, mais les larmes roulaient le long de mes joues. C’était une tristesse profonde mais dont je ne nie pas le caractère égoïste. Nous n’étions plus rien l’une pour l’autre et oui, il y avait des germes de tout ça il y 20 ans. Mais ça ne minimise pas le chagrin. En tout cas pas le mien, mais aussi parce que ma personnalité est fortement empreinte d’empathie et il est vrai qu’une vie comme la sienne m’aurait peut-être tiré des larmes même si elle m’était inconnue. Sauf que là, je l’ai connue.

 

Depuis 8h00, les pensées se bousculent dans ma tête sur elle, nous, notre vie, notre jeunesse, nos rêves, notre altruisme, notre bonheur et son caractère précieux.

 

Dans les commentaires sur le mur de mon amie d’adolescence, un homme lui demandait de retirer ces photos, par dignité, de l’appeler, que rien n’était jamais foutu.

Ce soir, sa page était inaccessible.

Rédigé par Jenny Grumpy

Publié dans #Blues

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