Famille

Publié le 13 Novembre 2014

Mes moufs,

Il est des moments où je vacille, lorsque le doute s’empare de tout mon être et qu’il me semble m’enliser dans un visqueux brouillard. Je pourrais m’excuser, mais je t’entends déjà, mon grand, répliquer qu’on ne peut s’excuser soi-même puisqu’il s’agit d’un verbe pronominal.

Et mon incapacité à masquer mon désarroi suscite en vous des questionnements… A croire que vous savez appuyer là où ça fait mal puisque vos interrogations portent ces jours-ci sur la famille.

Que pourrais-je vous dire sans vous décevoir, voire vous briser ? Que j’ai eu l’immense privilège de grandir dans une famille unie, même si elle n’était pas nombreuse. Que jusqu’à la fin, nous étions au moins trois lors des événements importants. Que je garde de mon enfance un souvenir chaud et lumineux. Que je me suis toujours sentie forte, soutenue, réconfortée, aimée inconditionnellement. Que j’ai été épargnée par les chagrins, les déceptions, les absences. Que chaque soir ou presque, mes deux parents étaient là pour me souhaiter de jolis rêves, que nous partagions nos dîners, que nous avions des fous rires lorsque mon père faisait le con, qu’on se racontait nos journées… Que nous partions en vacances ensemble… en famille. Je me souviens des départs nocturnes, la fumée bleue des Gauloises envahissant l’habitacle de la Peugeot ; des paquets de Philip Morris déposés en douce sur mon bureau ; des dimanches au rad’ de notre patelin à le regarder jouer au billard ; des excursions parisiennes avec ma mère ; des heures solitaires à bouquiner sur mon lit ; des virées dans les boutiques entre filles ; des parties de rami du samedi soir… Et toujours n socle insubmersible : notre famille.

L’inconvénient d’avoir connu un tel modèle est que l’on peut passer le reste de sa vie à vouloir reproduire le même. Il y a de l’indécence dans un tel propos, certes. Mais j’aime à croire que vous ne la percevez pas, pas encore… Alors que moi, je ne peux que mesurer ce dont je vous priverais. Nul regret dans les choix que j’ai faits il y a quelques années désormais : c’est hors sujet. Je ne peux que vous offrir un canard à trois pattes, à moins que ce ne soit un mouton à cinq… Du bancal à n’en pas douter. Il y a de l’indécence dans un tel propos et il y a du bourgeois aussi à vouloir renouveler une famille si tradi, proche des stéréotypes. Qu’importe, elle me manque ; elle nous manque cette famille. Ce fragile équilibre des forces en présence, cette fugitive harmonie pour laquelle je serais prête à me damner. Il ne s’agit pas des liens du sang : bourgeoise peut-être mais pas réac’ ! Je vous parle de ce après quoi je cours depuis des années, pour vous, pour moi, pour nous. En vain… Peut-être que je ne laisse pas vraiment la place. J’ai cru déceler une certaine unanimité sur le sujet, même du temps de la famille originelle, il y aurait eu nous trois et le reste du monde. J’ai tendance à penser qu’une place ne se donne pas mais qu’elle se prend. Je médite là-dessus ces derniers jours. Je ne suis pas encore très avancée : pour l’instant je bloque sur la case "échec amer".

Toi, ma môme solaire, tu m’objecterais que notre vie est épatante, que la vie à 3 et demi c’est chouette et que je suis géniale

Toi, mon môme philosophe, tu remarquerais que les choses sont ainsi, que ce n’est pas si mal et que je suis géniale.

Et nous continuerons de cheminer : parfois en rampant, souvent en bondissant.

Rédigé par Jenny Grumpy

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